2.2

- Hé, toi, qu'est ce que tu fais-là ?
- Qui parle ? Où êtes-vous ?
- Derrière toi, la pèlerine. T'es donc pas foutue de trouver d'où que j'te causes ?
- C'est qu'avec cette neige, monsieur, tous mes repères disparaissent.
- T'es complètement conne ou quoi ? Depuis quand la neige fait-elle mal entendre ?
- Nul besoin d'être grossier avec moi. Disons qu'il s'agit du mystère féminin, si ça vous arrange...
- Mystère mon cul ! Trente ans de mariage, je sais de quoi je cause, y a rien de mystérieux chez les bonnes femmes, et surtout pas chez la mienne.
- L'avez-vous seulement vraiment regardée ?
- J'ai sa tronche devant moi assez souvent comme ça, merci.
- Non, mais je veux dire, avez-vous déjà essayé d'aller au-delà des apparences ?
- De quoi qu'tu m'causes, là ?
- Oubliez, ce n'est pas grave. Pourquoi m'avez-vous interpellée, au fait ?
- Parce que tu tournes en rond au milieu de mon jardin depuis une demi-heure, hé ! Au début, ça m'a fait marrer, mais là, tu marches sur mon potager.
- Vous réussissez à faire pousser des légumes par ce temps ?
- T'es de la ville, toi, hein ? Bien sûr que non, rien ne pousse à cette saison, mais c'est pour le principe, on ne marche pas sur mon potager.
- Oh, d'accord, excusez-moi. Par où dois-je aller pour en sortir ?
- Suis ma voix...
- C'est malin ! Je vous ai dit que je n'arrivais pas à percevoir d'où elle venait.
- Bon, alors, tu prends tout droit sur 3 pas, puis tu tournes sur toi-même dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, tu fais le poirier, 2 sauts de cabri, et tu seras sortie.
- Et si vous arrêtiez de vous foutre de moi ? Après tout, c'est vous que ça gène, moi, je suis très bien ici, à piétiner vos tomates, éradiquer vos carottes, annihiler vos...
- Ca va, ça va. Marche tout droit pendant une dizaine de mètres et ce sera bon.
- Vous savez quoi ? Je ne vous fais absolument pas confiance. Je ne sortirai d'ici que si vous me rejoignez et marchez devant moi.
- Complètement parano, la môme. Enfin, si c'est le seul moyen de te faire partir d'ici, j'arrive.
- Enfin je vous vois ! Hé mais vous êtes tout petit ! Avec une aussi grande gueule, je vous imaginais bien plus impressionnant ! On dirait presque un homoncule !
- Si tu continues comme ça, tu vas voir ce qu'il va te faire l'homoncule !
- Vous m'avez bien vue ? Des comme vous, j'en ai rencontré des dizaines, et castré encore plus. Certaines font du macramé pour occuper leurs longues soirées, moi je décore les crèches avec des intestins.
- Le prend pas comme ça, cousine. Je suis p't'être un peu rude, j'aime bien jouer au gros con, mais je suis pas bien méchant. Suis-moi, je t'amène à la maison. Je suis tout seul, mais t'as rien à craindre de moi.
- Et votre femme ?
- Elle est partie tout à l'heure avec la petite, acheter de la crème de marrons. Elles en raffolent. Moi je trouve ça dégueulasse.
- Mon chat peut entrer ?
- J'ai jamais trop accroché sur ces bestiaux, mais c'est pas comme si il allait me piquer ma dent en or, hein !
- Méfiez-vous, il est vénal.
- T'es une rigolote, toi. Allez, entre, c'est là.
- C'est coquet, chez vous.
- N'importe quoi.
- Non, vraiment, c'est très chaleureux, comme endroit. Ca me rappelle un peu une ferme, telle qu'on peut en imaginer dans les contes, toute en boiseries et reflets de cheminée. C'est même exactement ça, il manque juste la tête de cerf au milieu de la salle à manger.
- On l'a enlevée, ça faisait peur à la mouflette.
- Vous en aviez vraiment une ?
- Oui, oui, comme tu l'as dit, une maison comme chez les frangins Grimm, jusque dans le moindre détail.
- C'était votre rêve ?
- Moi je voulais vivre en ville. Mais quand on a voulu acheter, on est tombés sur cette baraque. Des producteurs la revendaient une misère. Elle avait été construite pour un film, puis après, ils savaient plus quoi en foutre.
- Quel film ?
- Ca, ma jolie, j'en sais absolument rien, et ça ne m'intéresse pas. J'aime déjà pas que des gens fourrent leurs pattes dans mes légumes, alors voir des inconnus dans mon salon à la télé, imagine.
- Ca doit être perturbant.
- Je veux même pas savoir. J'ai d'ailleurs jeté mon poste, comme ça, je peux dormir sur mes deux oreilles sans crainte.
- C'est radical.
- Chuis comme ça. Mais bon, tout ça m'explique pas ce que tu fabriques dans ce trou paumé.
- Je me suis perdue.
- Et tu allais où, comme ça ?
- Je cherche un homme.
- Houlà, t'es mal tombée, je suis déjà pris, moi.
- Ne vous méprenez pas, je ne cherche pas n'importe quel homme. Le mien habite dans un tonneau.
- Il est alcoolo ?
- Non, c'est un sage.
- C'est incompatible ?
- Vous me posez une colle. Peut-être qu'il boit parfois un verre, mais je suis sûre que ce n'est pas pour ça qu'il habite dans un tonneau.
- Tu le connais bien ?
- Que de réputation, en fait.
- On t'a peut-être racontée des conneries, alors. Qui irait vivre dans ce genre de truc ? C'est pas confortable, et puis ça roule.
- C'est peut-être un grand tonneau, ou plusieurs empilés les uns sur les autres. Et puis j'imagine qu'il a de toutes façons mit des cales. Mais pourquoi parle t'on de cela, au juste ?
- C'est toi qui as lancé le sujet.
- Mais c'est vous qui m'avez demandé ce que je cherchais.
- Juste. Il a un nom, ton bonhomme ?
- Il s'appelle Bernard.
- Liewitz ?
- Non.
- Alors c'est l'autre. Maintenant que j'y pense, c'est vrai qu'il vit dans un tonneau. Ca m'avait jamais frappé jusqu'ici.
- Il a des cales ?
- J'passe pas mon temps à regarder les mains des mecs, tu sais...
- Je parle de sa maison !
- Ah ben j'passe pas non plus mon temps à regarder les fondations...
- Bref, savez-vous où il vit ?
- Bien sûr, c'est tout près d'ici. Il suffit que tu prennes le chemin à gauche de la maison et que tu le longes pendant quelques kilomètres. Quand tu entendras des flamants, c'est que tu seras arrivée.
- Et ça ressemble à quoi, le flamant ?
- Tu connais vraiment pas grand-chose, toi.
- Ce genre de bêtes ne vit pas par chez moi, sinon, je connaîtrai leur cri, croyez-moi. Je vois à quoi ils ressemblent, mais guère plus. Donc dès que j'en vois un, c'est que je suis sur place ?
- Ils sont trop timides, ils ne se montreront jamais à une inconnue.
- Alors comment faire ?
- Ben à la limite, y a bien un autre point de repère... Bernard a fabriqué un nain de jardin géant, en plastique phosphorescent. Tu vois la lueur verte, là, par la fenêtre ?
- Pourquoi ne pas m'avoir parlé directement de lui ? On ne voit que ça !
- C'est que dans le coin, on en a un peu honte, de l'ornement de l'ermite...
- C'est joli, comme ça, ce pâle halo...
- Il neige pas toute l'année, ici, tu sais...
- Ah, euh, je compatis, alors. Mais un homme qui fabrique un objet pareil, est-il vraiment sage ?
- Soit ça, soit il est complètement débile, t'as le choix.
- Je vais opter pour la première option, alors.
- Bon, sur ce, t'es mignonne comme tout, mais ma bourgeoise va pas tarder, et ça risquerait de jaser si elle trouvait une gazelle dans ton genre ici. Elle est gentille, mais jalouse comme une tique, tellement qu'elle pourrait penser qu'on a fricoté ensemble, alors que franchement, vu ma tronche, elle risque pas grand-chose.
- Parce que vous me pensez insensible ?
- Hé, te lances pas là-dedans, gamine. Je te l'ai déjà dit, je suis casé.
- Alors si c'est ainsi, je vais vous laisser. Merci de votre accueil, et des indications.
- De rien. Bonne chance !

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