3.2

- Bonjour, sage homme.
- Moi c'est Bernard, pour le sage, veuillez repasser aux horaires de consultation.
- Et quels sont-ils ?
- Je ne sais pas, je n'ai jamais eu le temps d'en fixer.
- Alors quand pouvons nous revenir ?
- Revenir ? Pas besoin, vous êtes là, alors autant en profiter. Vous savez que vous êtes un chat qui parle ?
- Quelques indices me laissaient le supposer, mais merci de la confirmation, j'avais un horrible doute à ce sujet.
- Toujours content d'aider mon prochain. Quel est le but de votre visite ?
- Nous voudrions savoir si nous existons.
- Pourquoi est-ce que les gens viennent toujours me poser ce genre de questions tordues ?
- Parce que vous êtes le philosophe de la contrée ?
- Je ne sais pas quel est l'imbécile qui a lancé cette rumeur, mais si je l'attrape, je le fais cuire à feux doux. Moi, tout ce que je veux, c'est m'occuper de mes rosiers, qui sont bien mal en point.
- Ce sont des ronces.
- Ah... c'est donc pour ça que j'ai beaucoup d'épines mais peu de fleurs ?
- Je suis sûre que c'est directement lié.
- C'est ennuyeux, je m'en suis tellement bien occupé qu'il va être difficile de les déloger, vous auriez une solution ?
- Excusez-moi, mais pourriez-vous régler notre problème avant de nous en présenter de nouveaux ?
- D'accord, expliquez moi clairement ce qui vous préoccupe, je vais voir ce que je peux faire. Mais je ne vous promets rien, hein, je ne suis même pas diplômé.
- Diplômé ?
- Bien sûr, on ne peut ouvrir les portes de la perception universelle par-dessus la jambe, des années d'études consciencieuses sont nécessaires pour y arriver. Enfin, c'est ce que disent les barbus en toge ; il faut bien qu'ils fassent leur beurre. Moi, je suis autodidacte.
- Bon... mon agile ami ci-présent et moi-même avons peur d'être des représentations fantasmées l'un de l'autre. Nous aimerions connaître et percevoir nos réalités fondamentales avant d'aller plus loin dans notre relation. Pouvez-vous nous y aider ?
- Oh, un humanophile qui rencontre une zoophile. Quelle chance vous avez ! C'est si rare de tomber sur le partenaire idéal !
- Je n'ai pas spécifiquement parlée de ce genre de relations...
- Vous feriez pourtant un beau couple. Réfléchissez-y.
- ...
- ...
- J'ai un peu de mal à comprendre votre interrogation. Quel est pour vous l'intérêt de savoir si vite ce que vous avez au fond de votre âme ? C'est la quête d'une vie de découvrir l'autre, ses replis les plus secrets. Si tout était apporté sur un plateau, disséqué et montré aux passants, alors le sel fondrait, et bien vite on s'ennuierait.
- C'est que je dois l'accoucher...
- Grossesse bien cachée. Si vous me permettez, mademoiselle, vous avez la taille si fine que je n'aurai jamais pu deviner que monsieur vous avait déjà si bien honorée.
- Vous le faites exprès ?
- Oui. J'ai peu d'occasions de m'amuser. Ceci dit, je ne peux pas faire grand-chose pour vous.
- Comment ça ?
- Vous ne vous posez pas les bonnes questions. Enfin, du moins, toute cette histoire de perception est un faux problème. Vous ne vous en rendez pas compte ?
- Je suis perdue.
- Monsieur, vous désirez aider la demoiselle ci-présente, n'est ce pas ?
- En effet.
- Et quand à vous, vous souhaitez qu'il éveille une part de votre personnalité ?
- Comment le savez-vous ?
- Disons que je n'ai peut-être pas totalement usurpé ma réputation.
- Vous êtes décidemment bien mystérieux...
- Ca fait partie du personnage... vous pensez vraiment que j'ai construit toutes ces horreurs par plaisir ?
- Ouf, vous me rassurez.
- Hé bien vous devriez, j'adore vraiment mon nain vert.
- Vous êtes déstabilisant.
- Merci.
- J'abandonne.
- Non non, s'il vous plait, pas maintenant.
- Alors nous vous écoutons.
- Ce que vous voyez, c'est ce que votre c½ur et vos sens vous dictent. Et que sommes-nous, en dehors de ça ? L'analyse froide et mathématique, c'est bon pour les machines. Laissez vous guider par votre instinct, ne cherchez pas à fragmenter et classer l'autre à tout prix, mais laissez-le vivre en vous, s'épanouir. C'est ça qu'il est réellement, enfin, c'est l'un de ses possibles, le vôtre.
- Mais cela, nous le faisons déjà.
- Alors, c'est que vous êtes sur la bonne voie.
- Vous voulez dire que tout ce périple n'aura eu lieu pour rien ?
- Il ne me semble pas avoir laissé entendre ça.
- Je pense avoir compris, merci pour tout.
- De rien. Et pour mes ronciers ?
- Récitez-leur du Ronsard, ils détestent ça.

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